Une reconnaissance pour la Mémoire de la déportation religieuse : le cas des Témoins de Jéhovah
par Philippe Barbey, Focus sociologique, 28 janvier 2017
Intervention de Philippe Barbey, sociologue des religions, conférence du CETJAD à l'occasion du soixante et onzième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945, « Témoins et martyrs des camps : 1933-1945 – Le cas des Témoins de Jéhovah », Samedi 28 janvier 2017, Centre de congrès Cité mondiale, Bordeaux.
Le 27 janvier 1945, tout en repoussant devant elles la Wehrmacht, les troupes soviétiques découvrent le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, à l'ouest de Cracovie en Pologne. Les soldats russes y trouvent 7000 détenus survivants et ont la révélation de la Shoah.
Auschwitz : un camp emblématique de la barbarie nazie
Le camp d'Auschwitz (Oświęcim en polonais) est aménagé le 30 avril 1940 dans une ancienne caserne pour incarcérer les résistants polonais. Son commandant est Rudolf Hoess, lieutenant-colonel SS de 39 ans qui a déjà servi au camp de Dachau, près de Munich. Convaincu que le travail contribue à assagir les prisonniers, Hoess affiche au-dessus de la grille du camp la devise cynique inaugurée à Dachau : Arbeit macht frei (« Le travail rend libre »). Beaucoup de prisonniers meurent d'épuisement dans les complexes industriels.
Vers Auschwitz vont être envoyés en particulier les déportés français, à partir du camp de transit de Drancy, au nord de Paris. Le camp, où sévissent 3.000 SS, va connaître une pointe d'activité à la fin de la guerre, au printemps 1944, avec l'extermination précipitée de 400.000 Juifs de Hongrie, ces malheureux étant gazés et brûlés au rythme de 6.000 par jour.[1] Environ un million cent mille Juifs sont ainsi morts à Auschwitz-Birkenau, auxquels s'ajoutent 300.000 non-Juifs. Oświęcim est aujourd'hui une ville polonaise presque ordinaire de 40.000 habitants.
Le camp d'Auschwitz est devenu le plus emblématique des camps nazis. Il a pris une place centrale dans l'histoire de la Shoah et de la déportation, au point de fausser la vision que l'on peut en avoir. Il a fait oublier que la majorité des six millions de victimes juives ont été exterminées par d'autres moyens que le gaz, famine, mauvais traitements et surtout fusillades de masse.
Préserver la mémoire de la déportation religieuse des Témoins
de Jéhovah : le témoignage des martyrs survivants des camps
Les détenus ont pu témoigner de l’existence des camps, de la barbarie qui s’y est exercée, des tortures qui y ont été commises. Cette tragédie impitoyable subie par les Juifs particulièrement à Auschwitz a pu faire oublier aussi les autres catégories de déportés qui eurent également un sort terrible dans les camps nazis et parmi eux, les Témoins de Jéhovah.
Témoin et martyr ont la même racine. En grec, témoin se dit marturos. Un martyr témoigne de ses convictions dans la vie ou par sa mort. Marie-Louise Le Mouël, agrégée de Lettres classiques, professeure des classes préparatoires, expliquait : "Martyr en grec, c’est témoin. L’un et l’autre témoignent, l’un dans la paix, la vie ; l’autre dans la souffrance, la mort. Le martyr est la face tragique, la face d’ombre du témoin. Il vaut mieux être témoin que martyr. Mais toute conviction ferme peut, aux heures obscures, transformer un témoin en martyr." [2]
Les détenus des camps sont devenus des martyrs à divers titres. A cause de leur race, les juifs qui dans les camps devaient arborer un triangle ou une étoile jaunes, les tziganes un triangle marron; à cause de leurs engagements politiques, communistes, socialistes, gaullistes, triangle rouge; à cause de leur choix de vie, les homosexuels, triangle rose et puis aussi les prisonniers de droit commun, triangle vert, les émigrés apatrides, triangle bleu, ceux que les nazis considéraient comme asociaux devaient porter un triangle noir. Les Témoins de Jéhovah étaient obligés de porter un triangle violet.
Les ouvrages de plus en plus nombreux publiés après la guerre sur cette période terrible citaient parfois les Témoins de Jéhovah mais souvent sous des noms qui ne permettaient pas de les identifier.[3] Souvent, on les appelait les Bibelforscher, y compris en France, qui plus est en allemand, langue de leurs tortionnaires et de l'occupant. Bibelforscher, Ernst Bibelforscher, Étudiants de la Bible, vrais chercheurs de la Bible, sectateurs de la Bible, scrutateurs de la Bible, toutes ces appellations se rapportaient pourtant aux Témoins de Jéhovah. Et à cause de ces dénominations qui cachaient la véritable identité de ce groupe, les Témoins de Jéhovah en vinrent à être longtemps oubliés dans les commémorations de la déportation ainsi que dans les manuels d'histoire.[4]
Pourtant, dans les camps, comme on l'a dit, les Témoins de Jéhovah étaient clairement identifiés par un signe distinctif de leur catégorie cousu sur leur vareuse rayée de détenu : un triangle de couleur violette. Certains rescapés les ont vus, les ont côtoyés et en ont témoigné. Ainsi, Edmond Michelet (1899-1970), grand résistant, ministre des Armées (1945-1946), ministre des Anciens Combattants (1958-1959), interné à Dachau, parle de ce groupe en termes particulièrement émouvants : "Et voici enfin l'immense pègre des manants, (...), les Témoins de Jéhovah au triangle violet."[5]
Geneviève de Gaulle Anthonioz, nièce du général de Gaulle, fut déportée à Ravensbrück. Elle était placée dans une cellule du camp, le « bunker », dans des conditions d’isolement très dures. Là, elle fait la connaissance d’une Témoin de Jéhovah qui lui apporte la nourriture. « En effet, une détenue âgée exécute les ordres. Elle porte le triangle violet des Témoins de Jéhovah et un numéro qui la signale comme une des premières immatriculées dans le camp.(…)»[6]
Simone VEIL, survivante du camp d'Auschwitz, se souvenait dans un entretien donné en 2005: "Le camp, c'étaient beaucoup de cris. Les hurlements des kapos, les ordres des SS, les aboiements des chiens... et, au loin, le son de l'orchestre qui jouait, surtout pour le départ et le retour des kommandos qui travaillaient à l'extérieur du camp. (...) Il y avait des "droit commun" reconnaissables à leur triangle vert, des condamnées pour affaires de mœurs, en noir, des Témoins de Jéhovah avec un triangle violet (...)." [7]
Les Témoins de Jéhovah anciens déportés réunis au sein du Cercle Européen des Témoins de Jéhovah Anciens Déportés et internés (CETJAD) publiaient en 1994 « Mémoire de Témoins 1933-1945. »[8] Dans cet ouvrage, des survivants décrivent, preuves documentaires à l’appui, le long calvaire qu’ils ont enduré pour leur foi chrétienne. Aujourd’hui, grâce à ce document et aux expositions, aux conférences, aux projections organisés par le CETJAD, les ouvrages consacrés à cette période du nazisme utilisent le nom de Témoins de Jéhovah pour parler du groupe des triangles violets et de ceux qui y appartenaient.[9]
Poursuivre la préservation de la Mémoire du martyre
des Témoins de Jéhovah : les travaux des chercheurs
Après les témoins, les chercheurs, les universitaires, les historiens, les sociologues rappelèrent à leur tour le martyre oublié des Témoins de Jéhovah. Ainsi, François Bédarida (1926-2001), maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris (1971-1978) et fondateur et premier directeur de l'Institut d'histoire du temps présent, (1978-1990) posait cette question il y a maintenant 18 ans : « Qui, à part les spécialistes, connaît le destin des témoins de Jéhovah sous le IIIe Reich ? Pourtant, tout au long des douze années du régime, la persécution s’est abattue sur eux avec un acharnement constant et avec une violence implacable. Eux aussi ont connu l’horreur de l’univers concentrationnaire. Eux aussi ont payé un lourd tribut à la fidélité à leurs convictions. Pourquoi ces chrétiens sont-ils les oubliés de l’histoire ? » [10]
Le philosophe Michel ONFRAY soulignait dans un entretien en 2005 : "Quant aux prêtres dans les camps, ils étaient enfermés pour leur héroïsme résistant, pas à cause de leur appartenance à l’Église catholique : que je sache, la religion chrétienne n'était pas inquiétée officiellement dans le IIIe Reich - à la différence des témoins de Jéhovah qui, eux, devaient arborer le triangle violet. Mais qui s'en souvient ? "[11]
On connait bien aujourd'hui le parcours de ces héros ordinaires qui ont dit non au nazisme et ont courageusement fait face à Hitler. Cette seule catégorie de détenus portait un triangle en raison de sa religion, de ses choix spirituels qui s'opposaient fermement à la doctrine politique du nazisme.
« Cette persécution est venue buter contre la résistance spirituelle, tenace et victorieuse, de croyants capables d’opposer la force intérieure de leur foi en Jésus-Christ au poids des pressions externes, à commencer par la violence physique de l’État policier – et cela jusqu’à l’héroïsme et au martyre. »[12] C'est ainsi que François Bédarida décrivait la résistance spirituelle des Témoins de Jéhovah, résistance qui a entraîné pour eux de terribles persécutions par l’État nazi.
Dans son ouvrage fort documenté intitulé Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, le directeur du CETJAD, Guy Canonici explique les raisons invoquées par les nazis pour persécuter les Témoins de Jéhovah. Pour les nazis, les Témoins de Jéhovah sont coupables de délit d'opinion. Le Ministère prussien de l'Intérieur les accuse en 1933 de 'miner les fondements de la vie commune, de fanatiser leurs adhérents, de travail opiniâtre de décomposition bolchevique, par des cérémonies particulières d'influencer et d'exalter ceux qui écoutent, dérangeant instantanément leur équilibre spirituel.' Dans un document de 1939, la direction de la Gestapo les mettra en tête de la liste des "sectes interdites" depuis 1933.' [13]
Ainsi, les Témoins de Jéhovah refusent obstinément de tendre le bras pour faire le salut nazi et de crier Heil Hitler. Ce seul refus répété quotidiennement les met déjà au ban de la société jusque dans les camps. Le psychanalyste Bruno Bettelheim qui a observé les Témoins de Jéhovah à Buchenwald a écrit à leur sujet : "L'antinazi, plusieurs fois par jour, avait le choix entre devenir un martyr - tout en mettant à l'épreuve le courage et les convictions de l'autre personne - ou perdre l'estime de lui-même."[14]
Seul leur Dieu Jéhovah méritait pour eux l’adoration, adoration qu’il n’était pas question de partager avec Hitler et ses symboles néo-païens. Ainsi, ils préféraient mourir plutôt que d’abjurer. [15]
Engagement chrétien sans faille, refus du nationalisme, refus de l'embrigadement et de la guerre, toutes ces raisons ont amené les Témoins de Jéhovah à s'opposer au nazisme. Ils ont remporter leur combat spirituel et sont reconnus aujourd'hui et à juste titre comme des martyrs des camps. La Mémoire de la Déportation devait intégrer cette reconnaissance des Témoins de Jéhovah. C'est aujourd'hui chose faite.
Joseph Kessel, dans sa biographie consacré au Docteur Félix Kersten, médecin personnel bien malgré lui de Himmler, consacre un chapitre entier des mémoires du médecin aux Témoins de Jéhovah. Il s'émeut beaucoup de leur sort. "(...) Les Témoins de Jéhovah comptaient en Allemagne quelque deux mille fidèles. Parce qu'ils disaient que la guerre était un fléau et qu'ils proclamaient que Dieu, pour eux, passait avant Hitler, ils furent saisis, enfermés dans des camps de concentration et soumis à un traitement particulièrement inhumain. Kersten en fut averti et résolut de les aider autant qu'il le pourrait."[16] Grâce aux Témoins de Jéhovah qui entrent à son service et qu'il sauve de cette manière, il apprend 'avec précision et en détail les atrocités qui étaient en usage dans les camps de concentration.' "Les Témoins de Jéhovah lui permirent d'en avoir une vision nette et complète."[17]
Edmond Michelet commentait ainsi la condition des survivants des camps dont il était lui-même : "Ni sains, ni saufs ...Dix ans après la libération des camps, le roman d'une rescapée de Ravensbrück rappelleraient aux survivants qui l'auraient oublié qu'il y aura effectivement toujours un côté d'eux-mêmes auquel le diagnostic s'applique. Sans parler de ceux qui, depuis dix ans, ont cessé de répondre à l'appel parce qu'ils sont allés rejoindre avant l'âge, physiquement exténués, les camarades laissés derrière eux (...) dans le jardin des crématoires ou les fosses communes des environs." [18]
L'Allemagne répare enfin l'oubli de la Mémoire du martyre
des Témoins de Jéhovah
Forts de leur passé héroïque de résistance au nazisme, les Témoins de Jéhovah allemands ont réclamé une existence en tant que religion chrétienne minoritaire bénéficiant intégralement de ses droits. « La Cour administrative fédérale à Berlin avait estimé en juin 1997 que les Témoins de Jéhovah ne pouvaient prétendre au statut de collectivité de droit public dont jouissent les Églises en Allemagne, jugeant qu’ils ne font preuve d’aucune « loyauté envers l’État ». » On note avec une ironie amère qu'avec cinquante ans d'écart, la République Fédérale d'Allemagne reprenait les mêmes arguments que l’État allemand national-socialiste.
Les Témoins de Jéhovah ont alors saisi la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, invoquant une atteinte à leur liberté de culte et une inégalité de traitement entre les différentes Églises, alors même que l’égalité de traitement est garantie par la Constitution allemande.
Le 19 décembre 2000, la Cour constitutionnelle cassait ce jugement qui déniait aux Témoins de Jéhovah le droit d’obtenir le statut d’Église avec tous ses avantages. « La justice n’avait pas à exiger des Témoins de Jéhovah une telle preuve de « loyauté envers l’Etat », comme condition d’obtention du statut d’Église. (…) L’organisation [des Témoins de Jéhovah] est « apolitique » et ne constitue pas un danger pour la démocratie. » [19] Cette décision devait servir à promouvoir la tolérance vers des minorités religieuses non seulement en Allemagne mais aussi dans toute l’Europe. Les Témoins de Jéhovah d’Allemagne ont finalement obtenu un statut religieux. Et cette reconnaissance n'est qu'un juste retour des choses, la réparation d'un préjudice grave causé par la nation allemande sous le régime nazi.[20]
Jean Baubérot, grand spécialiste français du protestantisme et de la laïcité, rappelait clairement ce point d'histoire quant à la prise de position du peuple allemand dans son écrasante majorité : « A l’arrivée au pouvoir de Hitler un concordat met à l’abri l’Eglise catholique tandis que le parti des « chrétiens allemands » assure l’élection d’un partisan du nazisme, Ludwig Müller, à la tête d’une Eglise protestante unifiée. Les opposants se groupent autour du luthérien Martin Niemöller et du réformé Karl Barth (…). Mais l’opposition au nazisme est aussi le fait de gens théologiquement et religieusement très divers. Ainsi près d’un tiers des Témoins de Jéhovah allemands (…) meurent en camps de concentration. »[21]
Le 21 juin 2013, à Lautertal-Reichenbach en Allemagne, le maire et d’autres représentants de la municipalité ont inauguré un monument en hommage à Max Liebster, qui était Témoin de Jéhovah et qui fut emprisonné plus de cinq ans dans des camps de concentration nazis. Comme il était Juif, Max Liebster a été arrêté par la Gestapo en 1939. Il a été par la suite incarcéré dans cinq camps de concentration différents : Sachsenhausen, Neuengamme, Auschwitz, Buna et Buchenwald. Huit membres de sa famille sont morts dans les camps. Parmi eux, son père, dont il a lui-même porté le corps jusqu’au four crématoire de Sachsenhausen.
Max Liebster avait rencontré les Témoins de Jéhovah dans les camps. Il avait été baptisé Témoin de Jéhovah à sa libération en 1945. Sur l’une des plaques de bronze du monument, on lit que sa foi lui « a donné la force et la volonté de survivre ». Max Liebster est mort en 2008, toujours fidèle à sa foi chrétienne, à l’âge de 93 ans.[22]
Le 16 septembre 2014, un autre évènement important a été célébré à la Fondation des Mémoriaux de Brandebourg : la commémoration du soixante quinzième anniversaire de l’exécution d’August Dickmann au camp de concentration de Sachsenhausen. Cet homme a été le premier objecteur de conscience à être publiquement fusillé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
En octobre 1937, August Dickmann, Témoin de Jéhovah, est emprisonné dans le camp de concentration de Sachsenhausen à cause de ses croyances. Trois jours après le début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, la Gestapo le convoque et lui demande de signer une carte d’identité militaire, ce qui aurait entraîné son incorporation dans la Wehrmacht. Comme il refuse, il est placé en isolement. Le commandant du camp demande l’autorisation au chef des S.S. lui-même de l’exécuter devant tous les autres détenus. Le 15 septembre 1939, des centaines de Témoins de Jéhovah, y compris le propre frère d’August Dickmann, Heinrich, sont forcés d'assister à l’exécution.
Le 18 septembre 1999, une plaque avait été apposée sur le mur extérieur de l’ancien camp de concentration de Sachsenhausen. Elle rend hommage aux plus de 890 Témoins de Jéhovah qui y ont été emprisonnés. Une stèle commémorative a par ailleurs été inaugurée en l’honneur d’August Dickmann.[23]
Le 24 avril 2016, la Fondation des mémoriaux de Brandebourg honorait à nouveau le martyre des Témoins de Jéhovah à l’occasion du soixante et onzième anniversaire de la libération de la prison de Brandebourg-Görden. Entre 1940 et 1945, près de 2000 personnes, dont 127 Témoins de Jéhovah, avaient été exécutées dans cette sinistre prison. Sur l’ensemble des groupes ciblés par les nazis, c’est parmi les Témoins de Jéhovah qu’on a compté le plus de victimes.
Le témoignage et le martyre des Témoins de Jéhovah :
un plaidoyer pour la paix du monde
A l’occasion du Forum international intitulé Un deuxième holocauste, est-ce possible ? réuni à Stockholm en janvier 2000, forum auquel assistèrent des chefs d’Etat et d'autres représentants de 48 gouvernements du monde,[24] les Témoins de Jéhovah rappelèrent que leur combat fut religieux, remporta la victoire sur l’idéologie de haine du nazisme et que leur groupe était toujours bien présent aujourd’hui, déterminé à continuer à professer sa foi chrétienne et à obtenir une pleine reconnaissance sociale et légale.
Et en effet, depuis plus de 70 ans, les Témoins de Jéhovah ont agi courageusement pour faire respecter les droits de l'Homme et la conscience de l'Humain qui refuse toutes les formes de violence, y compris la guerre. L’invitation à la cérémonie d’inauguration du Mémorial dédié à la mémoire de Max Liebster en juin 2013 mentionnait que Max Liebster « avait la ferme conviction que les valeurs chrétiennes peuvent faire ressortir ce qu’il y a de meilleur chez quelqu’un ». Et Wolfram Slupina, porte-parole des Témoins de Jéhovah en Allemagne, déclarait à cette occasion : « Nous nous réjouissons que soit commémoré le courage d’un de nos nombreux coreligionnaires qui ont tenu à respecter leur conscience malgré l’intolérance religieuse. Ce monument témoigne vraiment du pouvoir du message de la Bible, un message de paix et d’unité auquel les Témoins de Jéhovah s’efforcent de rester fidèles. »[25]
Leur prise de position ferme dans tous les pays du monde contre le service militaire, qui est un entrainement à la guerre, a interpellé la conscience de tous les chrétiens. Un des rares objecteurs de conscience catholique a fait cette réflexion : " Leur opposition à Hitler a eu cette caractéristique de ne pas être le fait de quelques individus seulement, mais d’un groupe dans sa globalité, au nom de sa foi. En cela, quel que soit leur credo particulier, ils interrogent en effet la chrétienté… »[26]
Et leur prise de position pour la paix définitive dans le monde a fait avancer la jurisprudence. Partout, le droit à l'objection de conscience est progressivement reconnu et la possibilité d'effectuer un service civil de remplacement est de plus en plus proposée aux objecteurs de conscience. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a définitivement reconnu ce droit et l'Organisation des Nations Unies proclame maintenant que l’objection de conscience est un droit humain fondamental. Parce que des centaines de Témoins de Jéhovah sont encore en prison à travers le monde, leur exemple d'engagement pour la paix continue d'interpeler les consciences.
Annette Wieviorka, Directrice de recherche au CNRS, écrivait qu'"il fallait bien admettre que les Témoins de Jéhovah se comportèrent dans les camps nazis comme les martyrs du début du christianisme." [27]
Jusqu’où les Témoins de Jéhovah contribueront-ils à faire avancer les choses en vue d’un monde de paix ? L'avenir nous le dira mais il est certain que les Témoins de Jéhovah, comme témoins et martyrs des camps, contribuent d'ores et déjà par leur prise de position courageuse et définitive pour la paix à faire de notre planète un monde plus sûr.
[1] 27 janvier 1945- Libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, Hérodote.net, consulté le 03/11/2016, https://www.herodote.net/27_janvier_1945-evenement-19450127.php
[2] M.L. Le Mouel, Petit dictionnaire des opinions reçues à propos des TJ, Les Ateliers du Coiron, 1992.
[3] G. Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Paris, Albin Michel, 1998, p. 63 : « Parler des Bibelforscher ou des Etudiants de la Bible dans les camps de concentration est historiquement exact. Cette façon de faire présente cependant l’inconvénient de parler d’un groupe religieux aujourd’hui connu sans que le lecteur ou l’auditeur puisse l’identifier. C’est d’autant plus fâcheux que ce mouvement fut le seul groupe religieux à recevoir un signe d’identification dans les camps. Quand le but est d’informer et d’expliciter, il convient de ramener l’inconnu au connu et d’utiliser le nom actuel de témoins de Jéhovah. »
[4] C'est seulement en 2005, soit 60 ans après la libération des camps, que pour la première fois en France le groupe des Témoins de Jéhovah fut invité aux cérémonies du souvenir de la Déportation : "Les nouveaux invités de Chirac - Pour le première fois, les Témoins de Jéhovah ont participé à une cérémonie officielle. Pour la journée nationale des victimes et héros de la déportation, l'Elysée avait convié Jean-Claude Pons, le porte-parole de leur consistoire." Le Nouvel Observateur, n°2112, du 28 avril au 5 mai 2005.
[5] Edmond Michelet, Rue de la liberté, Editions du Seuil, 1955, p. 85.
[6] G. de Gaulle Anthonioz, La traversée de la nuit, Paris, Seuil, 1998, pp.20, 26-31, 46, 52, 58, 59.
[7] Entretien de madame Simone Veil avec Alain Genestar, Retour à Auschwitz, PARIS-MATCH N° 2904 du 13 au 19 janvier 2005, p. 45.
[8] Mémoire de Témoins 1933-1945, CETJAD, Boulogne-Billancourt, Imprimerie Comelli Fils, septembre 1994, p. 6 : « L’oubli chasse sans cesse le souvenir. Notre lutte spécifique nous semble mal connue, comme occultée. Nous vieillissons, nous qui sommes les mémoires vivantes, survivantes, d’un drame de violence, de sang, de larmes, mais aussi de courage et de victoire. Nous nous sentons tenus d’en parler aux jeunes générations de Témoins, car notre histoire fait partie de leur glorieux patrimoine spirituel. Nous nous sentons tenus de participer à l’effort commun de tous ceux qui maintiennent haut le souvenir. »
[9] S. Bruchfeld, P. A. Levine, Dites-le à vos enfants, histoire de la Shoah en Europe, 1933-1945, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, préface de Serge Klarsfeld, Paris, Ramsay, 2000, p. 3 : « L’idéologie du national-socialisme s’en prit aussi à plus de cent mille handicapés et arriérés mentaux, à des milliers d’homosexuels et de témoins de Jéhovah, à plusieurs millions de civils polonais et d’Europe de l’Est, et à des millions de prisonniers de guerre soviétiques. »
[10] F. Bédarida, préface du livre de G. Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Paris, Albin Michel, 1998, p. I.
[11] Entretien avec Michel ONFRAY, Propos recueillis par Élisabeth LÉVY, Le Point du jeudi 10 février 2005 n° 1691 pages 98 à 101.
[12] F. Bédarida, préface du livre de G. Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Paris, Albin Michel, 1998, p. VI.
[13] Guy Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Albin Michel, 1998, pp. 66, 67.
[14] Bruno Bettelheim, Survivre, Paris, Robert Laffont, 1979, pp. 377-378, Guy Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Albin Michel, 1998, p. 102.
[15] Rudolf Hoess, Le commandant d’Auschwitz parle, traduit de l’allemand par C. de Grunwald, Paris, Juillard, 1959, pp. 92, 95.
[16] Joseph Kessel, Les mains du miracle, chapitre 8 Les Témoins de Jéhovah, p. 175.
[17] Joseph Kessel, Les mains du miracle, chapitre 8 Les Témoins de Jéhovah, p. 179.
[18] Edmond Michelet, Rue de la liberté, Editions du Seuil, 1955, p. 246.
[19] Agence France Presse (AFP), Communiqué du 19 décembre 2000.
[20] Philippe Barbey, Les Témoins de Jéhovah - pour un christianisme original, collection religion & sciences humaines, Editions L'Harmattan, 2003, Les Témoins de Jéhovah en Allemagne, pp. 202-218.
[21] Jean Baubérot, Histoire du protestantisme, Paris, PUF, 1987, pp. 117, 118.
[22] JW.org, Site officiel des Témoins de Jéhovah, consulté le 30/10/2016, https://www.jw.org/fr/actualites/actualites/par-region/allemagne/monument-hommage-temoin-de-jehovah-survivant-shoah/
[23] JW.org, Site officiel des Témoins de Jéhovah, consulté le 30/10/2016, https://www.jw.org/fr/actualites/actualites/par-region/allemagne/sachsenhausen-commemoration-rend-hommage-temoin/
[24] Réveillez-vous ! , 8 mai 2001, pp. 12, 13 : « La peur d’un retour du nazisme était flagrante parmi les délégués présents au Forum international de Stockholm sur l’Holocauste. Le professeur Yehuda Bauer, directeur du Centre international d’études sur l’Holocauste à l’Institut de la communauté juive contemporaine, en Israël, a exprimé ainsi cette peur : « Parce que c’est arrivé une fois, cela peut arriver de nouveau, pas sous la même forme, pas nécessairement aux mêmes personnes, ni du fait des mêmes personnes, mais à quiconque du fait de quiconque. Il n’y avait pas de précédent, mais maintenant il existe. »
[25] JW.org, Site officiel des Témoins de Jéhovah, consulté le 30/10/2016, https://www.jw.org/fr/actualites/actualites/par-region/allemagne/monument-hommage-temoin-de-jehovah-survivant-shoah/
[26] Témoignage de Jean Pezet, objecteur de conscience catholique, La Croix, samedi 21 novembre 1998.
[27] Annette Wieviorka, Auschwitz, 60 ans après, Robert Laffont, 2005.
Référence universitaire pour citer cet article :
- Barbey Ph., Une reconnaissance pour la Mémoire de la déportation religieuse : le cas des Témoins de Jéhovah, Focus sociologique, consulté le [date].