L’Adventisme, le Protestantisme

et les racines chrétiennes des Témoins de Jéhovah

 

 Par Philippe Barbey, Focus sociologique, janvier 2008.

 

Les Témoins de Jéhovah sont adventistes au plan théologique, parmi d’autres croyances qui sont les leurs. Mais, ils ne sont pas Adventistes au sens institutionnel du terme. De plus, ils ne sont pas issus du mouvement adventiste historique mais sont bien une composante du Protestantisme. Regardons ce que disent les plus récentes recherches à ce sujet.

 

Jean Séguy rédige un article sur les Témoins de Jéhovah en 2000 [1]. Qu’en dit-il ? Pour ce spécialiste, les Témoins de Jéhovah  sont fondés en 1874, aux États-Unis par Charles Russell. Il rappelle que Charles Russell est Américain issu d’une famille presbytérienne. A propos de leur appartenance éventuelle à l’adventisme, Jean Séguy fait à ce sujet trois remarques :

 

« Le mouvement des Témoins de Jéhovah appartient à la lignée millénariste de l’adventisme. »

«  Charles Taze Russell […] s’était écarté de la pratique chrétienne lorsqu’il s’unit, en 1870, à un groupe adventiste. »

«  Contrairement aux Adventistes du septième jour, ils observent un seul tabou, celui qui frappe la consommation de sang. »

  

Un deuxième source intéressante se trouve dans l’Atlas des Religions de Brigitte Dumortier en 2002[2]. Ici, l’auteur classe les Témoins de Jéhovah dans la famille protestante constituée par les Adventistes parmi lesquels les Adventistes du septième jour et les Mormons. Comme caractéristiques des Témoins de Jéhovah, elle retient les suivantes : Millénarisme, apocalypse prévue, interprétation de la Bible communiquée aux seuls Témoins de Jéhovah.

  

Une source encore un peu plus récente (2004), est constituée par un long article extrêmement intéressant sur les Témoins de Jéhovah par Michel Malherbe [3]. Cet auteur précise lui aussi que Charles Taze Russell est Américain, de famille presbytérienne, c’est-à-dire protestante de tendance calviniste. Il indique qu’il fut ‘influencé par les adventistes.’ « Après quelques années d’action commune, il se sépara d’eux pour fonder un périodique, La Tour de garde de Sion, destiné à faciliter la lecture de la Bible selon son interprétation. »

 

Enfin, dans une source sérieuse encore plus récente (2007), les Témoins de Jéhovah sont là encore classés parmi les groupes protestants (400 000 rien qu’en Italie)[4].

 

Qu’en est-il ? En tant que sociologue étudiant depuis maintenant plus de dix ans le mouvement des Témoins de Jéhovah, voilà la fiche descriptive issue de mes recherches à leur sujet [5]: 

 

Les Témoins de Jéhovah

Mouvement chrétien minoritaire protestant proche du pôle évangélique, protestantisme de conversion; taux de pratiquants : 53% réguliers, 27% irréguliers, 20% non-pratiquants.

 

Type protestant évangélique : Église de professants, biblicisme, activisme d’évangélisation, crucicentrisme.

 

Croyances : Jéhovah est Dieu créateur unique, non trin (unitarisme) ; Jésus-Christ, fils unique-engendré de Dieu, est Seigneur et rédempteur ; messianisme, adventisme, millénarisme, Le salut par la foi.

 

Pratiques religieuses : Valeurs morales fortes/Famille, refus de transfusions sanguines, Neutralité chrétienne.

 

Organisation du culte : Anciens (collégialité presbytérale) et assistants ministériels (diacres), réunions (cultes), baptême par immersion, Mémorial annuel (pâque).

 

Évolution du mouvement : De la « secte » vers la dénomination, selon Régis Dericquebourg, mise en place de structures de médiation : 1) médicale (CLH), 2) humanitaire (Association Aidafrique), 3) négociation avec l’État, décision du Conseil d’État du 23 juin 2000.

 

Préconisations à leur sujet par les spécialistes français des sciences des religions :

- Jean Baubérot, « Pluralisme et minorités religieuses »: médiation (cas du protestantisme),

- Valentine Zuber : Tolérance (cas Michel Servet),

- Jean-Paul Willaime : compréhension scientifique du phénomène religieux (sociologie des religions).

 

 Ainsi,  les Témoins de Jéhovah ne sont pas historiquement issu du mouvement Adventiste. Charles Russell, leur fondateur, n’était pas Adventiste, il était presbytérien affilié à un groupe congrégationaliste de Brooklyn ce que réaffirme Jean Séguy et  Michel Malherbe, ce qui est historiquement exact.

 

Dans la démarche pluraliste qui le caractérisait et qui caractérise toujours le protestantisme Américain, il a eu, pour reprendre les termes de Michel Malherbe que je partage, une « action commune » avec un groupe adventiste pendant quelques années sous la forme d’un périodique religieux dont il était corédacteur avec un Adventiste. Puis, il a cessé cette action commune avec eux pour publier ses propres recherches bibliques.

 

Durant son activité religieuse qui a duré plus de 45 ans, Charles Russell n’a côtoyé que pendant environ 5 ans un mouvement adventiste et qui plus est pour le simple partage d’une activité d’édition. Cette collaboration relativement courte dans un journal religieux de plus coédité par lui ne peut pas faire de Charles Russell un adventiste et encore moins du mouvement des Témoins de Jéhovah fondé par lui, un mouvement issu de l’Adventisme historique.

 

Maintenant, L’adventisme comme croyance chrétienne fait bien partie de la culture religieuse des Témoins de Jéhovah mais parmi d’autres croyances comme l’unitarisme, le messianisme ou le millénarisme qui trouvent toutes un écho dans les pages de la Bible.

 

Le sociologue britannique Bryan Wilson dresse une typologie des groupes religieux minoritaires d’origine chrétienne et  en isole quatre catégories[6]:

 

- Les conversionnistes : caractérisés par leur biblicisme, l’attachement marqué à l’Évangile, aux notions spirituelles de péché et de rédemption (Armée du salut, Églises évangéliques et pentecôtistes).

 

- Les adventistes : qui privilégient la foi authentique, l’adhésion vraie et active plutôt qu’une expérience mystique de la conversion. Ces groupes religieux minoritaires attendent l’intervention de Dieu dans la société humaine. Cette intervention doit renverser l’ordre social actuel et instaurer le Royaume de Dieu sur la terre afin d’apporter à tous ceux qui ont foi un millénium de paix et de bonheur (Témoins de Jéhovah).

 

- Les introversionnistes : se replient hors du monde sur la communauté des élus (Darbystes).

 

- Les gnostiques : théorisent la vérité divine pour vivre dans la société (Science chrétienne, New Age).

 

On peut faire sur la typologie de Wilson la même remarque que sur les idéaux-type de Max Weber. Ces types ne sont que des modélisations de forme pure qui ne se retrouvent pas tels quels dans le champ sociétal. Par exemple, Bryan Wilson classe les Témoins de Jéhovah parmi les adventistes au sens sociologique. Soit. Les Témoins de Jéhovah attendent bien un millénaire de justice, leur théologie est claire sur ce sujet. Ils privilégient la transformation jour après jour d’une personnalité qu’ils veulent calquer sur celle du Christ par une foi qu’ils considèrent comme authentique plutôt que la démonstration bruyante d’une conversion émotionnelle. Mais ils sont aussi très fortement caractérisés par leur conversionnisme et peut-être même plus par ce dernier point.

  

Ce qui caractérise vraiment les Témoins de Jéhovah et leurs racines religieuses, c’est leur protestantisme restitutionniste qui était celui de leur fondateur presbytérien.

 

A ce propos, il est utile de s'interroger sur le fait que le mouvement des Témoins de Jéhovah répondrait éventuellement aux critères principaux du protestantisme et que l'on pourrait ainsi à bon droit lui appliquer les concepts wébériens sur le protestantisme et la société explicités dans L’Éthique protestante et l'esprit du capitalisme.

 

Il faut cependant préciser d'emblée que les Témoins de Jéhovah ne se disent pas protestants au sens institutionnel. Mais d'autre part, il n'existe pas une Église Protestante. Le protestantisme est avant tout un courant de contestation religieuse réclamant des réformes du catholicisme et s'inscrivant dans l'histoire. L’Église Réformée de France - ERF explique que "au seizième siècle trois grands courants traversent et divisent la chrétienté :

 

- Les partisans de la "tradition". Tradition veut dire transmission, et dans ce courant on estime que le message et les enseignements de l'évangile ont été fidèlement transmis de génération en génération par l'institution ecclésiastique : on entend donc la conserver et la maintenir, pour l'essentiel, même si des améliorations de détail paraissent nécessaires.

 

- Les partisans de la "restitution". Restituer veut dire retrouver ce qui a été perdu. Ici, on estime qu'au fil des âges, on a oublié et travesti le message du Christ, que l'Église l'a complètement trahi. On veut donc faire table rase, tout détruire pour en revenir aux usages et croyances des apôtres et de la toute première Église.

  

- Les partisans de la "réformation". Réformer veut dire corriger, rectifier et améliorer. Depuis ses origines, l'Église a accumulé quantité d'idées et de pratiques, dont certaines contredisent l'évangile. Il faut les examiner, opérer un tri, garder ce qui est bon et rejeter le reste. Ce travail doit se refaire à chaque génération : l'Église n'est ni totalement bonne, ni complètement mauvaise, elle a toujours besoin qu'on la critique et qu'on la réforme (qu'on change sa forme) au nom de l'évangile.

 

Le premier courant privilégie la continuité, le second réclame une rupture, le troisième souligne la nécessité d'une transformation. Les Réformés s'inscrivent dans ce troisième courant. » [7].

 

On peut clairement inscrire le mouvement des Témoins de Jéhovah dans le second courant : celui des partisans de la rupture et de la restitution[8].

 

Ce désir certainement utopique des Témoins de Jéhovah de restituer le message du Christ, de revenir aux usages et aux croyances de la toute première Église, leur inscription dans la rupture avec toutes les autres Églises, leur radicalité théologique, tout cela amène les Témoins de Jéhovah à rejeter l’œcuménisme ou toute affiliation à des regroupements institués d’Églises se réclamant du christianisme et du protestantisme.

 

En France, par exemple, les plus de mille congrégations locales des Témoins de Jéhovah représentées par leurs associations se sont regroupées au sein de leur propre fédération : la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France - FCTJF. La FCTJF, en tant que telle, pourrait demander l'ouverture d'un dossier d'adhésion à la Fédération Protestante de France - FPF comme l'a fait avec succès l’Église Adventiste. [9]

 

 


[1] Jean Séguy, Témoins de Jéhovah, in Dictionnaire de l’Histoire du christianisme, Préface de Jean Delumeau,  Introduction d’Émile Poulat, Encyclopédie Universalis, 2000, pp.1001-1003.

[2] Brigitte Dumortier, Croyances, pratiques et territoires, Atlas des Religions, Préface de Jean Baubérot, Éditions Autrement, 2002, pp. 18, 37.

[3] Michel Malherbe, Les Témoins de Jéhovah, in Les religions de l’humanité, Nouvelle édition, Critérion, 2004, pp. 164-168.

[4] L’Atlas des Religions, Pays par pays, les clés de la géopolitique, La Vie, Le Monde, Hors-série, 2007, p. 135.

[5] Philippe Barbey, Les Témoins de Jéhovah – La survivance du christianisme antitrinitaire : une résistance spirituelle pour la foi en un Dieu unique, mémoire de diplôme de l’EPHE, Ecole Pratique des Hautes Études - Sorbonne, novembre 2001.

[6] Bryan Wilson , Les sectes issues du protestantisme, in Encyclopédie des religions (sous la Direction de Lenoir F. et Tardan-Masquelier Y.), tome 1, Paris, Éditions Bayard, 1997, pp. 645-658.

[7] Portail Internet des Jeunes Réformés - Église Réformée de France - ERF, Équipe des Jeunes Réformés de la région Centre Alpes Rhône - EJRCAR, Histoire et théologie, Réformer, consultation du 12/04/2006.

[8] « Leurs croyances et leurs pratiques n’ont rien de nouveau puisqu’elles rétablissent le christianisme du Ier siècle ». Comment raisonner à partir des Écritures, WTBTS, New York, 1986, p. 398.

[9] La Fédération protestante de France pourrait s'agrandir. PROTESTANTISME - Les adventistes du septième jour et les Assemblées de Dieu frappent à la porte de la Fédération protestante de France réunie ce week-end à Mulhouse, La Croix, 09 mars 2001. « On progresse, souligne le Pasteur Argaud. Il y a dix ans, les adventistes n'auraient jamais admis un autre protestant à la sainte cène, et les membres des ADD refusaient de s'appeler protestants. " C'est que ces Églises, nouvelles en France, ont tout intérêt à cette adhésion à la Fédération, qui vaut labellisation. Nous sommes constamment soupçonnés d'être une secte ", déplore à ce titre le Pasteur adventiste Fred Durbant. " Nous avons intérêt à nous faire connaître. " " Nous leur permettons de sortir du discrédit, reconnaît pour sa part le Pasteur J. Argaud. Et inversement, par ce dialogue, nous pouvons attirer leur attention sur telle ou telle attitude sectaire. »

 

Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., L'Adventisme, le Protestantisme et les racines chrétiennes des Témoins de Jéhovah, Focus sociologique, consulté le [date].

 

visites depuis le 06/04/2014

123.287 visites cumulées

de FOCUS SOCIOLOGIQUE

au 29/04/2022

(Recherche, Articles,

Thèse, English site,

Centre de formation)

 

 

 CONTACT